L’original: « Imagining the end of police »
L’auteur: JP
Les traducteurs: Carl-Emmanuel Fulghieri, H
Publié originalement en Popula
À quoi sert la police? Plusieurs des manifestants hongkongais se posent cette question. Le onze août était l’un des moments les plus sombres des dernières manifestations, quand la police a éborgné une infirmiere, a tiré du gaz lacrymogène dans deux stations de métro et a continué à brutaliser les manifestants et même les passants.
Quoique cette nouvelle suite de manifestations est partie d’une opposition contre la loi d’extradition ajournée—mais pas retirée—qui permettrait aux dissidents, et qu’encore d’autres, soient extradés vers les tribunaux et cellules en Chine, les buts du mouvement ont évolué. Au-delà de l’opposition croissante contre le manque d’obligation légale du « Hong Kong Police Force » (HKPF), les gens se méfient du droit du HKPF––et le gouvernement dont ils reçoivent leurs ordres—de maintenir l’ordre public, et même à quoi indiquera « l’ordre public ». En faisant cela, les manifestants hongkongais s’imaginent à nouveau que ça veut dire d’être citoyen de la cité.
D’une part, le mot « citoyen » peut signifier le statut juridique de l’individu; d’autre part, « citoyen » peut signifier l’identification avec une communauté politique. L’idée du bon citoyen à Hong Kong a toujours été fixé par les intérêts de l’état et du capital.
En 1966, un homme de 27 ans, So Sau-chung, a commencé une grève de la faim au quai Star Ferry pour protester une hausse des tarifs qui poseraient un fardeau injuste sur les ouvriers. Tandis qu’une foule s’est formée dehors l’entré du quai, So a été interpellé pour l’entrave. Des manifestants ont défilé aux bureaux de l’administration coloniale anglaise ou ils ont déclaré que l’interpellation de So était illégitime; ils sont allés dans les rues de Tsim Sha Tsui pendant trois nuits. Quand les manifestations ont exacerbé, certains commençaient à lancer des pierres et saccager le bien public.
Comme on pouvait s’y attendre, la police anti-émeutes a été appelée pour réprimer les manifestations avec des lacrymogènes, matraques et finalement un couvre-feu : ces jeunes « causaient des problèmes ». Ensuite, le gouvernement a établi une commission d’enquête pour investiguer ce qu’ils appelaient, de façon menaçante, « Kowloon disturbances » (« perturbations de Kowloon »). Les administrateurs coloniaux anglais avait en précédence affirmé qu’une conscience politique n’existait pas à Hong Kong – dans un entretien avec le South China Morning Post, le ministre des affaires coloniaux avait dit que les habitants de Hong Kong étaient « plus concerné avec leur vie quotidienne ».
La commission aurait ensuite décrit le mouvement contre la hausse des tarifs comme une explosion de rage sporadique due à une combinaison d’échecs de communication gouvernementale, attitude négative envers la police et « l’ennui endémique » des jeunes gens, plutôt que comme un cri pour le changement politique significatif. C’était une désignation classiste et raciste : les travailleurs de Hong Kong ne pouvaient pas être des sujets politiques. Dans ses recommandations finales, l’enquête proposait la création de services sociaux pour encourager un « sain esprit de communauté », c’est-à-dire, supposément, pour rendre ces jeunes indisciplinés des sujets obéissants et productifs.
En lisant en filigrane les documents coloniaux, on voit que les Hongkongais n’ont jamais été des récipients passifs de cette manipulation par le haut. Dans une pétition publique contre l’augmentation tarifaire de Star Ferry – qui a recueilli 174 398 signatures, ce qui n’était pas une mince affaire dans les années 1960 – un supporter écrivait: “Les citoyens sont déjà malheureux; si le gouvernement ne s’en soucie pas et fait ce qu’il a intention de faire, les intérêts des citoyens de Hong Kong seront alors négligés et ils perdront toute protection future.” Déjà en 1966, on commençait à voir une conception parallèle du “citoyen de Hong Kong” comme capable de faire des demandes contre un gouvernement qui lui rendait pas compte – et contre une force de police agissant contre lui en toute impunité.
L’histoire rime souvent. Le pouvoir est peut-être passé de l’empire britannique à l’état chinois et au gouvernement local de Hong Kong, mais la priorité de “la loi et de l’ordre” reste la même. Le citoyen idéal de Hong Kong est un sujet discipliné qui garde la tête basse, va au travail et croit inflexiblement en la sainteté de l’autorité. Ils sont prêts à échanger leur liberté contre l’illusion de “stabilité et de prospérité.” À son tour l’État autoritaire, qui a approprié et coopté des structures coloniales britanniques dans le but de siphonner les ressources de Hong Kong – la seule monnaie d’échange de la ville dans l’ordre mondial néolibéral – est capable de consolider le contrôle à l’intérieur de ses frontières tout en étendant les projets néocoloniaux à l’étranger.
Les manifestants hongkongais, pris entre le marteau et l’enclume, restait inébranlable dans leur résistance contre ces essais de les faire subir. L’exemple de Ken Tseng, un travailleur social qui était battu pendant la dispersion de la révolution des parapluies, a fomenté un tollé contre les violences policières. Récemment, les manifestants hongkongais condamnent le HKPF pour la force excessive en réprimant les manifestants et civils, le ciblage intentionnel des journalistes, un complot présumé avec les voyous qui a suscité des attentats contre les civils a Yuen Long, les poursuites politisées, et les interdictions excessives des rassemblements pacifiques.
Au fond, les manifestants hongkongais se demandent qu’est-ce que signifie “l’état de droit” alors même que les regles peuvent etre changé par une législature truqué et un gouvernement non responsable – plutôt redevable à la puissance autoritaire de Chine. Ils visent aussi le pouvoir maintenu dans la cité par les fonctionnaires de l’époque coloniale selon leur position classée et racialisée, et l’entraînement et l’armement de la police hongkongaise, toujours fourni par les Anglais—l’héritage colonial qui a fondé une infrastructure pour « l’ordre public », qui doit être maintenu à tout prix, au lieu du volonté public.
Les manifestants hongkongais savent très bien que la notion de « la criminalité » est pratiquement malléable; comme elle s’est utilisé pour décrire le comportement « déchaîné » des jeunes homme ouvriers en 1966, ainsi la police d’aujourd’hui excuse l’interpellation de quiconque, soit des Hongkongais qui envahissent la législature, soit un étudiant qui porte dix pointeurs lasers, ou soit un chef de communauté qui diffuse en live les opérations de police.
Cette critique de « criminalité » serait les bases pour évoluer d’une position anti-HKPF à une position entièrement anti-police–en bref, une politique d’abolition. Selon Angela Davis dans son oeuvre Abolition Democracy, la démocratie égalitaire surviendra dès que toutes formes de domination seront abolis. À parte l’élimination des policiers et prisons, nous devons, selon Davis, « contester l’autorité absolue de la loi ». Nous devons nous engager à la méthode d’imaginer des solutions aux problèmes structurelles – des façons de relier les un les autres – pour nous mêmes, et surmonter les cadres pré-construit désignés à sauvegarder le statu quo.
La prochaine étape—déjà prise par quelques penseurs et commentateurs–est d’étendre le lien entre l’augmentation des violences policières contre les manifestants et la violence quotidienne reçu par ceux exclus du modèle idéal du citoyen de la classe moyenne hongkongaise. Les Hongkongais doivent lutter contre la désignation arbitraire des communautés particulières comme criminelles tout en combattant la violence des “flics pourris” contre les manifestants. Il n’y a qu’en 2013, que le HKPF a fait 1.6 million fouilles–quatre fois le nombre de fouilles fait par la police dans Londres et New York—ciblant disproportionnellement les minorités.
Après un rassemblement à Tuen Mun dans lequel les manifestants ont accusé et harcelé un groupe des femmes surnommées “prostituées du continent,” les travailleuses du sexe qui souffrent le plus sous la répression des brigades des mœurs ont demandé la raison pour laquelle elles ne sont plutôt vues comme des alliées dans la lutte contre la brutalité de la police. Hong Kong a la proportion des femmes détenues (de la population totale des prisonniers) la plus haute au monde. Les scolaires ont fait noter que pour les travailleuses du sexe migrantes en particulier, il existe une “‘courroie de transport’… qui emmène les femmes du poste de police, à travers les tribunaux, et inévitablement à la prison.”
La frontière est elle-même un lieu de discipline où les citoyens sont soit inclus, soit exclus en fonction de critères de race, de sexe et de classe; lisibles comme membres productifs de l’économie d’un hub financier global, ou exploités comme travail reproductif, inéligibles à demander des salaires décents, à un logement ou à la résidence permanente, droits qui sont systématiquement accordés à d’autres étrangers (lire: les blancs). La conception même de la frontière nous empêche d’explorer des formes d’autodétermination qui ne reposent pas sur l’inclusion de certains au prix de l’exclusion d’autres – et oui, cela inclut de repenser la frontière entre Hong Kong et la Chine au-delà du chauvinisme nativiste.
“Aucun casseur, que de la tyrannie.” Une politique abolitionniste pour Hong Kong n’est pas simplement possible, elle est déjà en herbe. On la voit dans les critiques du département de police de Hong Kong, ainsi que dans les discussions sur la stratégie, sur internet et dans les rues, qui dénonce la division, en offrant une solidarité contre l’injustice systématique des sphères politiques et économiques. Les manifestants de Hong Kong apprennent de nouvelles techniques d’entraide et de soins mutuels conçues pour soutenir des personnes de tous les milieux, en outrepassant toutes les divisions possibles.
Ceci n’est pas une fantaisie de la lutte; il s’agit d’une compréhension pratique et robuste de ce qu’il faut pour préserver l’individu et le collectif, que ce soit en première ligne, dans des manifestations pacifiques, de l’autre côté de la frontière ou derrière un écran d’ordinateur. Un sentiment de communauté et de responsabilité, plutôt qu’une discipline violente venant du haut. “Nous grimpons la montagne à notre manière, vers le même sommet.” Alors que nous continuons dans nos manières respectives à résister à la police de Hong Kong, le sommet de notre imagination pourrait bien émerger sous la forme d’un nouveau collectif anti-carcéral.